vendredi 24 décembre 2010

RWANDA : "6 millions de morts en RDC ? Extravagant !" selon Aldo Ayello

12 décembre 2010, Propos recueillis à Kigali par François MOLYNEUX

 Les 9 et 10 décembre derniers se tenaient à Kigali une conférence internationale sur le génocide au Rwanda. Deux jours de travaux qui ont regroupé  des chercheurs, des hommes politiques, des diplomates et des écrivains. Parmi eux, le diplomate italien Aldo Ayello, pour qui "l'extravagance du chiffre de 6 millions de morts au Congo devrait suffire à discréditer l'ensemble du pré-rapport "mapping" de l’ONU". Voici son interview réalisée à Kigali.

Entre 1992 et 1994, le diplomate italien Aldo Ayello a été envoyé par les Nations Unies au Mozambique pour ramener la paix. Puis jusqu’en 2007 il a représenté l’Union européenne en Afrique centrale pour rapprocher les belligérants. Réputé excellent connaisseur de la région des Grands lacs, il porte un regard sévère sur le pré-rapport « mapping » du Haut commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU sur les allégations de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, voire de « génocide » commis en République démocratique du Congo (ex-Zaïre) et dont la responsabilité incomberait essentiellement à l’Armée patriotique rwandaise. Quand au chiffre de 6 millions de victimes, il le qualifie de « tout simplement extravagant ».
Monsieur Aldo Ayello, vous vous trouvez en ce moment au Rwanda pour participer à un colloque organisé par la Commission nationale contre le génocide au sujet du « Mapping report » de la Commission des droits de l’Homme de l’ONU sur des allégations de crimes de guerre, voire de génocide au Congo entre 1996 et 1998. Ce rapport a fait grand bruit. Qu’en pensez-vous ?

Aldo AYELLO : - J'ai passé 15 ans en Afrique dont la Tanzanie dans la région des Grands Lacs, j'en ai donc une expérience directe et je connais bien le contexte sur lequel le rapport de la commission de l'ONU fait une curieuse impasse. La sortie de ce rapport m'a profondément étonné. Pour ce que j'en ai lu, il contient beaucoup de contradictions et d'incohérences. Mais le pire est à mon avis la véritable amnésie qui semble toucher les auteurs du rapport sur le contexte des événements qu'ils prétendent décrire et analyser. Et le chiffre extravagant de victimes.

Que voulez-vous dire en parlant du contexte ?

Aldo AYELLO : - Il s'agit de la définition même du supposé "mapping". Pour comprendre et apprécier les événements qui se sont produits dans la région des Grands Lacs entre 1993 et 2003, il ne suffit pas de se fier à des témoins dont beaucoup semblent apporter des informations de deuxième ou de troisième main, mais aussi de comprendre l'ensemble du conflit, sa genèse, ses raisons profondes. Or le rapport ne le fait pas. Il ne définit pas le cadre, et d'abord le génocide. Je parle du vrai génocide, celui commis en 1994 au Rwanda contre les Tutsi. Le rapport de la commission de l'ONU ignore complètement cet événement décisif. Cette façon de mettre entre parenthèses le génocide des Tutsi et le massacre concomitant des Hutu démocrates empêche de comprendre ce qui s'est passé avant, pendant et après.

Avant ?

Aldo AYELLO : - Il est indispensable de se rappeler que le génocide de 1994 contre les Tutsi a été scientifiquement planifié. Comment les auteurs du rapport peuvent-ils oublier par exemple le témoignage et les télégrammes du général Roméo Dallaire, commandant en 1993 et 1994 la force des Nations unies (MINUAR) au Rwanda ? Les télégrammes étaient on ne peut plus précis, notamment celui du 11 janvier, et pointent la faillite de l'ONU à prévenir le génocide, jusqu'au lâche retrait de l'essentiel des effectifs de la MINUAR. C'est grâce au secrétaire général Boutros Boutros Ghali qu'une présence minimum a permis que la communauté internationale conserve un droit de regard sur ce qui se produisait. Peut-être que cette petite présence a sauvé quelques vies humaines. Peut-être a-t-elle dans certains cas, imposé un minimum de retenue aux auteurs du carnage. Je suis vraiment étonné que les auteurs du rapport fassent l'impasse sur tout ça. Et qu'ils oublient également que l'ONU a ensuite toléré que les camps de réfugiés - qui ont accueilli la population hutu obligée de fuir son pays sous la pression des génocidaires - puissent s'installer à quelques mètres seulement de la frontière du Rwanda. Voilà qu'elle a été l'origine des tragédies qui ont suivi.

Qu'aurait dû faire l'ONU après le génocide et l'exil forcé de millions de Rwandais ?

Aldo AYELLO : - Les règles internationales concernant l'accueil de populations réfugiées sont claires. Notamment, les camps doivent être installés à une grande distance de la frontière du pays quitté pour des raisons évidentes de sécurité. Or l'ONU a toléré que certains camps soient installés à quelques mètres seulement de la frontière du Rwanda. Ces camps étaient encadrés par les mêmes autorités qui venaient de diriger le génocide. L'ONU a toléré que les anciennes Forces armées rwandaises (FAR) puissent s'installer au milieu de ces réfugiés avec leurs armes et leurs munitions. L'ONU a toléré que les ex-FAR puissent se réorganiser et compléter leurs effectifs dans l'intention clairement affichée d'attaquer le Rwanda pour reprendre le pouvoir et, dans l'intervalle, de déstabiliser les autorités par une série d'incursions armées. Je rappelle que les organisations non-gouvernementales et le Haut-Commissariat aux réfugiés n'avaient pas le contrôle des camps. Qu’elles n’avaient même pas le droit d’y pénétrer pour recenser le chiffre réel de réfugiés. Que les autorités rwandaises en exil trichaient effrontément sur le nombre de réfugiés pour obtenir des stocks d'équipements et de rations alimentaires qu'elles revendaient à la population zaïroise pour se procurer davantage d'armes et de munitions. L'intention déclarée de ces gens était "de continuer le travail qui n'avait pas été terminé", c'est-à-dire de revenir au Rwanda pour parachever l'extermination des Tutsi.

Les auteurs du pré-rapport n'évoquent pas cette situation ?

Aldo AYELLO : - Précisément. J'ai cherché dans le rapport le rappel des causes de la crise que les rapporteurs prétendent expliquer et analyser. Je n'ai pas trouvé un seul paragraphe sérieux sur tout ça, rien sur la responsabilité de la communauté internationale qui a laissé violer ses propres règles en tolérant l’installation à la frontière du Rwanda des forces préparant la reconquête du pays en s'appuyant sur le financement des camps par le détournement massif de l’aide de la communauté internationale, notamment de l'Union européenne. Faut-il rappeler que le financement de cette population forcée à l'exil coûtait un million de dollars par jour, dont la moitié financée par l'Union européenne ? Quelques mois seulement après avoir fui le Rwanda, les ex-FAR avaient reconstitué leur effectif d'environ 50 000 militaires. Elles avaient réussi à transférer au Zaïre l'essentiel de leurs armes lourdes et de leurs véhicules ainsi que la plus grande partie de leurs armes légères. Elles ont racheté le reste aux militaires zaïrois avec l'argent pillé au Rwanda avant leur fuite et l'argent détourné des budgets destinés à l'aide aux réfugiés.

Pour reprendre la guerre perdue en juillet 1994 ?

Aldo AYELLO : - En 1995 et 1996, le Rwanda était soumis à des incursions armées et à des attaques pratiquement quotidiennes. Il ne se passait pas de semaine sans que des rescapés soient assassinés par des commandos venus du Zaïre. Je rappelle que la route stratégique entre Kigali et Gisenyi, à la frontière du Zaïre, était fréquemment minée. L'insécurité était telle qu'on ne pouvait plus l'emprunter la nuit, et le jour, il fallait organiser des cortèges de véhicules, escortés par de puissants effectifs militaires.

Comment les auteurs du pré-rapport ont-ils pu faire l'impasse sur cette situation ?

Aldo AYELLO : - C'est bien le problème. Entre 1994 et 1996, le Rwanda était un pays assiégé, et l'inconséquence, l'incohérence, la lâcheté de la communauté internationale contribuaient très lourdement à cette situation. Les autorités de l’ex-gouvernement « intérimaire » qui avaient préparé puis encadré le génocide voulaient imposer une négociation au gouvernement rwandais pour partager le pouvoir en faisant l'impasse sur l'épouvantable carnage qu'ils avaient provoqué. À cette époque, j'ai rencontré à plusieurs reprises le président du Rwanda Pasteur Bizimungu et le vice-président et ministre de la défense Paul Kagamé. Tous deux se plaignaient amèrement de l'incurie de l'ONU qui laissait se préparer une nouvelle tragédie.

Que disaient-ils précisément ?

Aldo AYELLO : - À plusieurs reprises, Paul Kagamé m'a dit : "Il faut que l'ONU permette aux Rwandais pris en otage par les génocidaires de revenir dans leur pays, sinon nous serons forcés de le faire nous-mêmes." J'ai rapporté ses paroles à mes interlocuteurs de l'ONU, mais ils n'en ont pas tenu compte. Aucun pays européen n'était prêt à envoyer des militaires  dans les camps de réfugiés pour soustraire la population à la terreur de l’encadrement génocidaire. Personne ne voulait s'occuper de rétablir des règles normales en matière d'accueil et d'administration des populations réfugiées. Personne n'était prêt à consacrer des ressources pour déplacer les camps ou pour protéger les Rwandais qui voulaient rentrer dans leur pays et qui était assassinés par les forces génocidaires dès qu'ils en manifestaient l'intention. Je conserve un souvenir précis des demandes des autorités de Kigali, répétées mille fois, de concourir au rétablissement d'une situation normale en matière de réfugiés. Il est étrange que ce problème qui a dominé la scène politique rwandaise pendant les années 1994 à 1996 ait été complètement ignoré par les auteurs du rapport de la commission de l'ONU.

Comment cela est-il possible ?

Aldo AYELLO : - Je me pose la question. Je n'étais pas le seul à qui le président de la République du Rwanda et son vice-président posait le problème. Tous les représentants des gouvernements étrangers qui rencontraient les nouvelles autorités du Rwanda entendaient le même refrain. La question a été la base des négociations de Lusaka. J'entends encore les réponses de certaines autorités gouvernementales occidentales : « Ce serait trop risqué, trop dangereux, trop coûteux ». Comment pouvaient-ils présenter de tels arguments alors que le coût du maintien des camps de réfugiés était d'un million de dollars par jour !

C'était la volonté politique qui manquait ?

Aldo AYELLO : - Exactement. L'opération aurait incombé à des militaires des pays développés qui ne voulaient pas s'engager. J'entends encore Paul Kagamé, qui était alors vice-président de la république me dire : « Si les occidentaux ne veulent pas rétablir l'ordre dans les camps, empêcher les ex=FAR de préparer une attaque armée générale contre le Rwanda et faciliter le retour des réfugiés, alors nous serons obligés de le faire nous-mêmes. » J'ai relayé ces propos aux responsables de l'Union européenne, à des hauts responsables des États-Unis, à toute une série de membres de la communauté internationale. Je me suis heurté à une fin de non recevoir.

Considérez-vous que l'attaque menée par l'armée patriotique rwandaise et les troupes de Kabila à la fin de 1996 constituait un acte de légitime défense ?

Aldo AYELLO : - Appelons les choses par leur nom. L'accueil complaisant par les autorités du Zaïre des responsables du génocide, l'autorisation qu'il aura été donnée de reconstituer une force armée considérable, à se fournir en armes et munitions, la tolérance dont ils ont bénéficié pour terroriser les camps de réfugiés, et enfin la préparation d'une attaque générale contre le Rwanda qui était prévue au tout début 1997, tout ceci a entraîné un acte de légitime défense des autorités du Rwanda.

Car si l'armée patriotique rwandaise n'avait pas attaqué fin 1996, peut-être qu'elle n'aurait pas résisté à l'invasion armée massive qui était programmée par les ex-FAR quelques semaines plus tard, et le génocide aurait été parachevé.

Que pensez-vous des observations du rapport de l'ONU qui laisse entendre que des actes de génocide contre les Hutu auraient été commis au Zaïre par l'APR et les forces de Kabila ?

Aldo AYELLO : - Parler de génocide commis au Zaïre contre les réfugiés rwandais demande beaucoup d'imagination et de fantaisie. Je vous renvoie à l'article 6 du traité de Rome, ce qu'on appelle la convention sur le génocide. Il s'agit "d'actes commis dans l'intention de détruire en totalité ou en partie un groupe national, ethnique, religieux, etc.". À la suite de l'attaque du Zaïre fin 1996, les autorités rwandaises ont créé un couloir humanitaire qui a permis de rapatrier au Rwanda des millions de personnes libérées de l'étreinte de la terreur dans les camps. Ces gens n’ont pas été exterminés, mais bien au contraire protégés. Il s'agissait encore une fois d'un acte de légitime défense de la part d'un pays assiégé et en faveur de millions de réfugiés soumis à la propagande qui avait conduit au génocide, et dont la plupart se félicitaient de pouvoir rentrer dans leur propre pays sous la protection de l'APR.

Mais d’autres réfugiés se sont enfuis… ?

Aldo AYELLO : - Je n'ignore pas que des centaines de milliers de réfugiés ont été repoussées plus profondément dans le territoire zaïrois sous l’effet de la panique ou sous la contrainte des militaires des ex-FAR qui s'en servait comme d'un bouclier humain. Dans la plupart des cas, même lorsque ces réfugiés avaient parcouru à pied des centaines de kilomètres à l'intérieur du Zaïre jusqu'à Tingi=Tingi ou Kisangani, ils ont pu être ramenés au Rwanda. Dans d'autres cas, il y a eu des pertes humaines, notamment lorsque ces réfugiés ont été utilisés comme boucliers humains par les ex=FAR et les forces armées zaïroises qui leur apportaient leur concours pour tenter d'éviter la défaite. Que des dizaines de milliers de réfugiés aient perdu la vie dans ces terribles circonstances, du fait que des combats, de la maladie, de l'épuisement, voir de « dommages collatéraux », est une évidence. Citer le chiffre de 6 millions de victimes provoquées par l'armée patriotique rwandaise et les autres pays qui ont participé aux opérations militaires dans le Zaïre jusqu'à la chute de Mobutu est tout simplement extravagant et devrait suffire à discréditer l'ensemble du rapport.

Pourquoi ce chiffre qui est répété à l’envie sur la « Toile » ?

Aldo AYELLO : - Il ne repose sur rien de concret. On voit bien l’effet de propagande qui est recherché. Il s'agit d'atteindre un chiffre comparable au nombre des Juifs exterminés par les nazis, pour attirer l'attention de l'opinion publique internationale, jouer sur le registre de l'émotion, de l'indignation, de la passion. Ou pire encore, souffler sur les braises de la haine. Encore une fois, tout ceci n'a rien à voir avec la réalité.


lundi 15 novembre 2010

A Pierantonio Costa le Prix de Mérite de Saint-Martin

Florence, 13 novembre 2010 -  Donné ce matin, avec une cérémonie solennelle dans la Salle des Cinq-Cents du Palazzo Vecchio, les boucliers d'Argent, de Bronze et les diplômes de mérite ont été décerné par l'Institut des Boucliers de Saint-Martin  pour les personnes et organisations qui se sont distingués pour des actes de solidarité humaine et d'héroïsme. Cet évènement en constituait la XXVII° édition . La cérémonie a été présenté par Eugenio Giani, président du conseil de la Mairie de Florence, qui, dans son discours a souligné que, au fil des ans, cet événement est devenu un important point de référence et la principale occasion de remise d'un prix pour la solidarité et l'altruisme à Florence.

Le Bouclier d'Argent a été également reçu par Pierantonio Costa, Consul honoraire d'Italie à Kigali, au Rwanda, de 1988 à 2004, et qui, au moment du déclenchement du génocide de 1994, a travaillé activement pour sauver
La cerimonie officielle
des boucliers du Saint Martin
(Pressphoto)
autant de personnes que possible. Aidé par son fils, en collaboration avec la Croix-Rouge et plusieurs organisations non gouvernementales, il avait à la fin du génocide, perdu plus de trois millions de dollars, mais sauvé de nombreuses vies humaines, environ 2000 personnes dont 375 enfants. Pierantonio Costa, qui ne pouvaient pas assister à la cérémonie parce qu'il était à l'étranger, a délégué Kankindi Françoise, présidente de l'Association BeneRwanda basée à Rome qui soutient notamment sa candidature au  Prix Nobel de la Paix, ensemble avec deux femmes Rwandaises, la Juste Zura Karuhimbi e la réscapée Yolande Mukagasana.



L'article complet est publié sur: http://www.lanazione.it/firenze/cronaca/2010/11/13/414121-assegnati_palazzo_vecchio.shtml


jeudi 4 novembre 2010

TPIR/NDAHIMANA- « J'AI TUE CA ET LA SANS M'INQUIETER DE POURSUITES » (TEMOIN)

Arusha,  2 novembre 2010 (FH) -  Un ancien administré de l'ex-maire Grégoire Ndahimana, en procès au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), a affirmé mardi, dans son témoignage, avoir tué beaucoup de Tutsis dans sa commune en 1994 sans s'inquiéter des éventuelles poursuites judiciaires.
Inculpé de génocide et extermination, Ndahimana était maire de Kivumu, dans l'ancienne préfecture de Kibuye (ouest) en 1994.
« Ce que j'ai fait à Kivumu est horrible. Maintenant que je me sens en paix avec le Dieu Tout-puissant, je suis prêt à tout dire. Je suis allé ça et là, en tuant. J'ai commis plusieurs atrocités sans m'inquiéter de poursuites », a avoué le témoin CBR ainsi désigné pour préserver son anonymat. Au deuxième jour de son témoignage contre Ndahimana, il était contre interrogé par Wilfred Nderitu, l'un des avocats de l'ex-maire.
Le témoin a notamment avoué sa participation à l'attaque du 16 avril 1994 contre les Tutsis qui s'étaient retranchés dans l'église catholique de Nyange située dans la commune Kivumu.
Appuyé par un bulldozer chargé de raser l'édifice religieux, cet assaut a fait environ 2.000 tués, selon des sources concordantes.
« J'ai participé à l'attaque (...) J'y ai tué beaucoup de réfugiés » (tutsis), a déclaré le témoin, sans que sa voix trahisse la moindre émotion.
CBR, actuellement en prison au Rwanda après sa condamnation pour son rôle dans le génocide, a par ailleurs affirmé qu'il avait tué deux autres Tutsis avant de se joindre à l'assaut contre l'église.
« J'étais proche de l'autorité », a insisté le témoin, justifiant ainsi son impunité jusqu'à son arrestation en juillet 1994 par les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR) qui venaient de chasser du pays les Forces armées rwandaises (FAR) et leur gouvernement.
Les anciens responsables civils ou militaires inculpés par le TPIR ont à répondre non seulement de leur présumée  participation individuelle directe mais aussi de leur soutien, actif ou passif, aux exactions commises par leurs subordonnés ou leurs administrés.
Né en 1952, l'ex-maire a été arrêté le 10 août 2009 dans un camp de réfugiés dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC) et transféré, onze jours plus tard, au centre de détention du TPIR à Arusha, en Tanzanie. Son procès a démarré le 6 septembre.
FK/ER/GF
© Agence Hirondelle


mercredi 3 novembre 2010

Le juge d'instruction français, Marc Trévidic, près de Kigali, le 16 septembre 2010.

Le juge d'instruction français, Marc Trévidic, près de Kigali, le 16 septembre 2010. 
C'est l'enquête de la dernière chance. Celle qui peut établir la vérité sur un drame jamais éclairci depuis seize ans, ou bien se heurter, une fois de plus, aux raisons d'Etat. Aussi étonnant que cela paraisse, aucune investigation matérielle n'a jamais été menée par la justice sur le crash de l'avion du président rwandais qui, le 6 avril 1994, a donné le signal du génocide d ont ont été victimes 800 000 personnes, des Tutsi et des Hutu modérés. 
Pour la première fois, un juge d'instruction français vient de passer une semaine à Kigali accompagné d'une équipe d'experts et d'avocats, pour tenter de faire la lumière sur les tirs de missile qui, en abattant le Falcon 50 du président Juvénal Habyarimana, ont fait basculer le Rwanda dans l'horreur. 
Qui a tiré ? Les extrémistes hutu hostiles au partage du pouvoir avec les Tutsi qu'avait accepté le président Habyarimana ? C'est la thèse du régime actuel du président Paul Kagamé, dominé par les Tutsi. Ou des soldats agissant sur ordre de ce dernier qui, à la tête d'une armée rebelle, cherchaient à s'emparer du pouvoir, comme l'a conclu le juge français Jean-Louis Bruguière en 2006, provoquant la rupture par Kigali des relations diplomatiques avec Paris ? 
Chacune de ces hypothèses renvoie à un lieu de tir : le camp militaire de Kanombe tenu par les Forces armées rwandaises (FAR, loyalistes), qui attesterait de la culpabilité du régime Habyarimana, ou la colline de Masaka où des éléments du Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagamé se seraient infiltrés, selon l'enquête du juge Bruguière. 
"La vérité viendra de la balistique", insiste l'un des protagonistes de ce dossier qui, depuis seize ans, empoisonne le climat entre Paris et Kigali. Cette vérité n'intéresse pas seulement les familles des victimes françaises du crash, qui ont porté plainte. La culpabilité du camp Kagamé, sans faire de l'actuel président le responsable du génocide - qui a des racines anciennes et fut organisé par ses adversaires -, signifierait que le chef de l'Etat a pris le risque d'un massacre de son peuple, pour prendre le pouvoir. 
C'est peu dire que le séjour rwandais du juge parisien Marc Trévidic, du 11 au 18 septembre, marque un tournant dans cette enquête. Son prédécesseur, le juge Bruguière, chargé en 1998 de l'enquête ouverte sur plainte des victimes françaises du crash, ne s'était jamais rendu sur les lieux. Crainte pour sa sécurité et conviction d'une obstruction des autorités rwandaises actuelles, allèguent ses partisans. Parti pris de charger Kagamé pour atténuer la responsabilité de la France, qui soutenait Habyarimana, rétorquent ses contempteurs. 
Fondant ses accusations sur des témoignages convergents, le juge Bruguière avait cru pouvoir se passer d'investigations en terrain rwandais. Mais plusieurs de ses témoins se sont rétractés, rendant plus nécessaire que jamais le recueil de preuves matérielles. Parallèlement, le rétablissement des relations franco-rwandaises à la fin de 2009 a rendu possible un transport sur les lieux, inenvisageable en période de glaciation diplomatique. 
Héritier d'un aussi lourd passé, le juge Trévidic n'a pas le droit à l'erreur. Il a fait en sorte que ses investigations à Kigali, effectuées sous le regard de la justice rwandaise comme le veut la loi, soient incontestables. Il a effectué sa visite en présence d'un avocat des parties civiles françaises et de deux défenseurs des Rwandais mis en cause. Afin d'atténuer le risque d'une future "bataille d'experts", il a aussi accepté la présence à ses côtés d'experts militaires britanniques. 
En 2009, ces derniers, dans un rapport commandité par les autorités rwandaises, ont accrédité la thèse de Kigali incriminant les extrémistes hutu. Selon eux, les preuves matérielles ne sont "plus disponibles". Mais leur travail est contesté car les témoignages contredisant la version gouvernementale ne leur avaient tout simplement pas été communiqués. 
Pour approcher la vérité, le magistrat français s'est fait accompagner de cinq experts, tous civils : un géomètre, un cartographe, un spécialiste des missiles et un autre des explosifs ainsi qu'un formateur spécialisé dans le pilotage des Falcon 50, l'avion en cause. 
A la nuit tombée - le moment du drame -, cet aréopage, escorté par des militaires et accompagné de hauts magistrats rwandais, s'est transporté sur les deux zones possibles de tir. "Nous avons attendu la nuit pour voir passer les avions et vérifier les hypothèses, notamment en étudiant la propagation des sons. Nous avons emmené les témoins de l'époque sur les lieux et les avons interrogés pour confronter leurs dires à la réalité du terrain", raconte l'un des acteurs de cette reconstitution. De multiples relevés GPS et photographiques doivent permettre aux experts de reconstituer en 3D par informatique la trajectoire du Falcon 50 présidentiel. 
Cruciale mais encore inconnue, la position de l'appareil au moment où il a été touché par deux missiles, doit être enfin déterminée. Elle sera croisée avec la localisation des débris toujours présents sur place, afin de déduire le lieu des tirs. 
En parallèle, la position de l'avion au moment de l'impact devrait permettre d'identifier le type de missile utilisé. A son tour, ce renseignement peut aider à identifier le camp du tireur et à déterminer si ce dernier était ou non un professionnel. "Il n'est pas facile d'abattre un avion en vol", insiste un proche de l'enquête. 
Déjà, le transport sur les lieux a permis de disqualifier certains témoins : le lieu où ils disent s'être trouvés ne permet pas physiquement de distinguer les deux zones possibles de tir. 
L'observation d'un champ de papyrus boueux et infesté de serpents a fragilisé le témoignage de celui qui disait s'y être caché. Mais c'est le croisement des conclusions scientifiques avec les témoignages, qui devrait permettre d'éliminer définitivement certaines hypothèses. 
"Les experts ne diront pas qui a fait le coup, nuance une source éclairée. Mais ils détermineront les scénarios les plus probables." Leur copie est attendue d'ici à mars 2011. 
L'équation du crash déclencheur du génocide rwandais n'aura probablement pas été totalement résolue, mais plusieurs de ses innombrables inconnues auront enfin été levées. 
Philippe Bernard Article paru dans l'édition du 03.11.10.